Imaginer un produit qui va changer la vie, c'est bien. Le traduire dans les faits, c'est déjà beaucoup mieux. Le protéger, c'est essentiel. Mais, malheureusement, peu d'entreprises françaises estiment qu'il faut en passer par la propriété industrielle pour se protéger. Pour plusieurs raisons... Dans le point de vue publié dans notre numéro du mois de septembre, Jean-Louis Somnier, président de Novagraaf Technologies, conseil en propriété industrielle, expliquait cette réticence en ces termes : « Les entreprises françaises déposent une seule demande de brevet quand les autres entreprises en déposent dix désignant la France : notre liberté d'exploitation se réduit donc de jour en jour sur notre propre territoire. Et le faible nombre de dépôts de demandes de brevet d'origine française ne relève pas toujours d'une analyse objective mais plutôt d'une méconnaissance des systèmes de protection et la mauvaise appréciation de l'intérêt que l'on peut en retirer. Parmi les idées reçues auxquelles il "faut tordre le cou" : les coûts, l'absence de formation ou d'information, les lacunes culturelles, un désintérêt coupable... »
Un univers méconnu
Il faut dire, à décharge, que le monde de la propriété industrielle n'est pas très ouvert. Qu'il peut sembler friand de procédures compliquées et coûteuses. Qu'il peut paraître, aux yeux du néophyte, plus proche de l'ambiance des cabinets de notaire où se chuchotent les secrets de famille que des réalités d'une entreprise moderne faisant face à la compétition mondiale.
C'est ainsi qu'un cabinet de conseil en propriété industrielle n'a droit ni à la publicité ni au démarchage. Pas facile, dans ces conditions, de faire connaître et d'expliquer les tenants et aboutissants de son métier.
D'où un grand nombre de malentendus. Pour la plupart des entreprises et des inventeurs, la propriété industrielle se résume à la marque et au modèle. Et à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Point de salut en dehors ! Et pourtant, les quatre grands domaines de la propriété industrielle que sont la marque, le droit d'auteur, le modèle et le brevet couvrent toutes les étapes qui conduisent à la création d'un produit emballé. Quatre domaines parfaitement autonomes mais totalement complémentaires.
Quatre domaines
De l'avis des spécialistes, le droit des marques est relativement bien connu : donner un nom à un produit, à un matériau ou à un procédé pour le protéger et le faire connaître. Reste que faire vivre la protection de sa marque demande du doigté, car la rançon du succès fait qu'une marque peut devenir un nom générique. Faut-il rappeler que le Frigidaire est un réfrigérateur et que la Mobylette est un vélomoteur ? Et que le Doypack est un sachet qui tient debout. A l'inverse, une politique trop tatillonne peut en limiter la diffusion.
Mais il en va tout autrement du droit d'auteur. Cas de figure classique : une entreprise qui confie une création à une agence de design pense que le résultat lui appartient. Que la création lui est cédée. Erreur : le droit d'auteur est inaliénable. Seuls se cèdent les droits liés à l'exploitation. Mieux vaut donc peser les termes du contrat car, les agences de design le savent bien, conflits et incompréhensions sont monnaie courante.
Quant au droit des dessins et modèles, à géométrie variable, il recouvre tout ce qui n'est pas fonctionnel. Pour la filière de l'emballage et du conditionnement, il a l'immense avantage de permettre de protéger l'esthétique mais surtout un volume. Il peut aussi permettre de prouver une antériorité dans une création. Mais, utilisé tout seul, il n'offre que peu de protection car il ne prend pas en compte les effets techniques.
Vient enfin le brevet. Le brevet qui protège globalement une fonction ou un procédé. C'est le domaine le plus mal perçu des entreprises. Qui s'en méfient, au prétexte que décrire son procédé revient à donner le mode d'emploi à son concurrent. D'où le soin qu'il faut apporter à la rédaction du brevet qui est un art en soi... Mais la question n'est pas là. En effet, à partir du moment où un produit est commercialisé, tout le monde peut le décortiquer pour savoir comment il est fait. Et, s'il n'est pas protégé, difficile de faire valoir ses droits devant un tribunal. CQFD.
Long terme
Si ces quatre domaines de la propriété industrielle sont autonomes, ils recouvrent l'ensemble de la démarche qui conduit à la création d'un nouveau produit. C'est pourquoi un groupe de travail pluridisciplinaire, qui associe, au minimum, un créateur, un industriel et un chef de produit, devrait s'inscrire de facto dans cette logique. Il est, en effet, plus efficace d'associer création et protection dès le début du processus d'élaboration.
Alors que la propriété industrielle est perçue comme un outil ponctuel, elle se révèle être, en fait, un véritable outil de valorisation des actifs intellectuels et matériels de l'entreprise sur le long terme. En outre, l'évolution du droit communautaire amène une nouvelle simplification des procédures pour se protéger dans les différents pays de l'Union européenne. Mais ce qui est valable pour les entreprises françaises à l'étranger le sera tout autant, en France, pour les entreprises des autres pays : le retard français pourrait alors devenir un véritable handicap.